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Le Journal
de Kurt Cobain


Edition poche en 10/18 - 2004
7 euros 80 - 315 pages
traduit par Laurence Romance


Par Darth Burger, 8 février 2004.

Couverture noir et blanc avec  bandeau rouge, y a pas à dire, ça a de la gueule !


Un an après sa toute première édition française, voici qu'arrive la version poche du journal de Kurt Cobain. Bien au-delà du produit dérivé pour fan collectionneur, ce livre s'affirme comme un jalon essentiel dans l'histoire de la pop culture, dont l'impact est peut-être encore plus fort aujourd'hui qu'à l'époque où il a été rédigé...

Sortie : février 2004 - Notre avis : 5/4 (Rhaaa Lovely !!!)

 

Fallait-il publier ces écrits, près de 10 ans après le suicide du chanteur de Nirvana ? Un passage du journal lui-même pourrait nous faire penser que non, puisqu'à la suite de plusieurs vols de quelques uns de ses cahiers intimes, survenus entre octobre 1991 et décembre 1992, Cobain écrit : "C'est ma faute mais la violation la plus intense que j'ai ressentie cette année ne concerne pas les exagérations des médias ou les potins dégeulasses, mais le viol de mes pensées personnelles. Des pages déchirées écrites durant mes séjours à l'hôpital, mes voyages en avion, dans les hôtels, etc. Je suis tenu de dire, allez vous faire foutre, allez vous faire foutre à ceux d'entre vous qui n'ont absolument aucune considération pour moi en tant que personne."

Nous voilà prévenus : lire ce journal est un acte de viol, à nous d'en être conscients et de songer qu'il peut au fond être acceptable pour peu qu'il soit fait dans le respect de son auteur. Un auteur qui plus avant dans le journal, prévenait par ailleurs tout éventuel lecteur :

"Ceci ne doit pas être pris au sérieux.
Ceci ne doit pas être lu comme des opinions.
Ceci doit être lu comme de la poésie."

Deux passages essentiels du livre pour aborder sa lecture dans les meilleures conditions, c'est à dire en se mettant à l'écoute d'une voix dont l'écho spectaculaire a touché toute une génération et marqué profondément une époque, mais qu'on n'a finalement peut-être jamais vraiment entendue.



UNE PENSEE RECURRENTE : LE REJET DU "CORPORATE"

Et qu'a-t-elle à nous dire cette voix ? Eh bien, un certain nombre de pages déroulent une pensée mûrement réfléchie qui cherche sans cesse à dénoncer l'esprit "corporate", c'est à dire la logique d'oppression mentale et commerciale qui régit la société contemporaine. Dans l'art comme dans la vie de tous les jours, Cobain exprime un rejet total de toute la mentalité arrogante et machiste caractéristique de l'homme blanc depuis toujours, qu'il s'est personnellement prise dans les dents durant son adolescence, simplement en vivant celle-ci dans l'Amérique des années 80, où la vanité et le goût de l'argent, ce qu'il appelle "la goinfrerie", triomphaient alors sans complexe.

Voilà peut-être une des clés de l'incroyable impact qu'ont eu ses chansons à l'aube des années 90, où à l'issue de la première guerre du Golfe, qui enterrait définitivement l'insouciance égoïste des années 80, il y avait dans l'air comme une volonté de retrouver du sens et la vraie valeur des choses. Et aux yeux de Cobain, comme à bientôt ceux de toute la jeunesse de l'époque, le punk-rock, tel qu'il avait existé à la fin des année 70, était le meilleur moyen d'exprimer ce besoin de vérité.

A ce sujet, le pape de ce qu'on allait appeler le mouvement grunge écrit : "J'ai découvert très tôt que les gens qui partageaient une même théorie du complot concernant la vérité qu'on nous cache pour des questions d'intérêt, aiment généralement une musique politiquement orientée et tendant à inclure des éléments de vérité sans fard. Le punk-rock, pour l'essentiel, entre dans cette catégorie".

Et là, on ne peut s'empêcher de penser, à côté du punk-rock et de tout l'univers de Nirvana, à l'autre grand phénomène contre-culturel de l'époque : la série X-Files, bâtie entièrement sur cette fameuse théorie du complot et qui brandit en guise de slogan avant chaque épisode : "La vérité est ailleurs".

Avec ce journal, on voit donc, peut-être mieux que jamais, que Cobain, tout comme Chris Carter, a su exprimer le besoin de se réveiller que ressentait toute une génération anesthésiée depuis des années par la société de consommation. Bien sûr, disques de rock et séries télé sont deux parfaits représentants de ces produits qu'on nous invite à consommer pour se distraire, au sens "distraire son regard de ce qui est vraiment important", mais Cobain dit bien dans son journal qu'il souhaite infiltrer les "corporates" et se servir de leurs armes pour mieux les contrer.

Un combat que n'a sûrement pas gagné au final Nirvana, ni encore moins Chris Carter, mais dont il reste cependant aujourd'hui ce précieux ouvrage.



Le brouillon de LA chanson clé des années 90

UN RECUEIL DE TRESORS ARTISTIQUES

A côté de ce discours révolté, qui apparait en quelque sorte comme le fil rouge du livre, on trouvera dans ce journal de passionnants documents artistiques, tels notamment des dessins ou mini BD nourris d'une verve digne des meilleurs caricaturistes (Cobain a été étudiant en art), des brouillons de chansons obscures ou au contraire devenues les standards rock qu'on connait tous et des scénarios de clips très travaillés.


Autant d'éléments qui révèlent que Cobain, loin du junkie dépassé par les événements qu'ont décrit les medias à l'époque de sa gloire, était un véritable artiste accompli et ambitieux. Il cherchait en effet à tout contrôler dans la carrière de son groupe, voulant donner un sens à chacune de ses productions, pochettes de disques, clips et même plan marketing pour la sortie d'un nouvel album ! Une attidude qui force le respect, d'autant qu'il n'en a jamais dévié, même après s'être fait, comme il le précise à un moment, 5 millions de dollars en un an avec sa musique.

Pourquoi son suicide alors, s'il était si déterminé et maître du destin de son groupe ? Eh bien, cela restera bien sûr toujours une énigme, mais la lecture de ce journal nous révèle que l'artiste souffrait d'un mal médical terrible, des troubles gastriques qu'il décrit comme douloureux au plus haut point et qu'aucun docteur ne parvint jamais vraiment à identifier et soigner. Les drogues alors, en particulier l'héroïne, constituèrent un des seuls moyens d'apaisement de ce mal cruel, qui pouvait survenir à n'importe quel moment, sans aucune raison, et qui lui retournait l'estomac parfois durant des semaines.

Mais bien entendu, comme il en a très vite conscience lui-même, cette "solution" implique rapidement un état de manque et de dépendance qui finit par vous anéantir... On peut donc penser que, bien plus que la pression du succès sur un être psychologiquement fragile, c'est cette lutte infernale avec la douleur physique et son antidote fatal qui ont eu raison d'un homme qui apparait pourtant solide et surtout motivé par de grandes causes artistiques et politiques.


RIONS UN PEU AVEC KURT COBAIN (SI SI !)...

Autant de dureté et de douleur dans un seul livre pourrait paraître déprimant et rébarbatif, mais ces pages expriment heureusement toute l'humanité de leur auteur et donc aussi ses moments de joie.


Des délires bien fun parfois, surtout dans les premières pages, bien avant la gloire, comme cette nuit passée chez Chris Novoselic (bassiste de Nirvana) où Cobain sort tous les disques "indignes" que possède son ami, de la musique grand public et inoffensive, pour les détruire impitoyablement, provoquant la colère puis le fou rire finalement approbatif du futur bassiste.

Citons encore, dans le genre, le "dégivrage au marteau" auquel se livre Cobain chez sa petite amie de jeunesse, dont nous avons reproduit le passage ci-contre dans son intégralité.

Attention les enfants, n'essayez pas ça à la maison !


Un grand moment de délire total qui montre tout l'humour et la légèreté dont était aussi capable le leader de Nirvana. Enfin, les divers projets de bio du groupe que rédige Cobain adoptent aussi un ton souvent à la limite de la parodie.

Côté traduction, le travail de Laurence Romance - journaliste rock bien connue depuis 20 ans - n'est pas toujours bien inspiré. Mais heureusement, apparemment consciente de ses limites, celle-ci fournit de très nombreuses reproductions des pages originales, qui permettront au lecteur anglophone de corriger de lui-même certaines regrettables approximations.
Bon esprit donc, largement préférable à un travail de traduction "parfait" confié à un professionnel, qui aurait fort probablement tout ignorer des finesses de la culture rock qui irriguent la prose de Kurt Cobain.

Pour ceux qui auraient déjà acheté la première édition, signalons que les 13 documents ajoutés pour cette édition poche sont d'un intérêt variable... mais rien que pour les 10 pages qui relatent la vie du serial Killer Chuck Taylor, cette version augmentée, qui plus est bon marché, se justifie pleinement.


UNE OEUVRE IMPORTANTE HIER, MAIS CAPITALE AUJOURD'HUI...

Tout cela constitue finalement un véritable chef d'oeuvre du genre, tout à fait passionnant à lire, surtout si on est soi-même un créateur artistique, avéré ou juste dans l'âme. Bien plus passionnant en tout cas que de nombreux journaux intimes de grands écrivains ou grands cinéastes, généralement bien trop préoccupés par leur ego si merveilleux...

Au delà de cette grande valeur artistique et malgré les réticences de Cobain quant à l'idée que son livre soit trop pris au sérieux, on retiendra aussi la rage exprimée face à toutes les oppressions et à l'esprit "corporate", qui revient régulièrement d'un bout à l'autre du livre.

Une rage essentielle à l'époque et peut-être plus encore aujourd'hui, tant l'on voit autour de nous triompher partout toutes les formes d'oppression, de l'administration Bush aux USA , à la montée de l'intégrisme et du terrorisme en Extreme-Orient, sans oublier notre cher gouvernement français et sa politique fermée à toute nuance et discussion.



Au final, on peut se dire qu'au-delà de la mort elle-même, Cobain continue à gueuler une révolte dont on a encore bien besoin 10 ans après Nirvana, traduite dans toutes les langues cette fois, et qu'il serait bien dommage de croire réservée aux ados attardés ou véritables, nostalgiques d'une époque révolue. Ce livre est une somme essentielle, doublée d'un régal artistique, qu'on devrait tous lire pour notre plus grand bien.

Darth Burger


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